L’Église orthodoxe russe conservera-t-elle sa liberté?

20/10/1947

La politique d'expansion soviétique grâce à l'orthodoxie vient de rencontrer un échec que la presse n'a pas assez souligné. Le patriarche Alexis avait désiré convoquer un concile œcuménique à Moscou. Ainsi eut été consacrée la prééminence de cette nouvelle Rome. Or le Phanar – ainsi désigne-t-on par son siège la patriarche de Constantinople, véritable primat des Églises orthodoxes, - vient de faire savoir qu'il considérait la réunion de ce concile comme sans motif et inopportune. Le patriarche de Moscou ne réalisera pas l'unité de l'orthodoxie. C'est le premier échec dans une politique qui jusque là n'avait rencontré que réussite.

En 1917, le patriarche russe Trkhon est déchu de son titre et ne doit conserver la vie qu'aux interventions des puissances.  Vient alors la lutte implacable des « Sans-Dieu », tandis que le métropolite Serge essaie de sauver ce qu'il peut l'être de l’Église. Cette situation pénible dure jusqu'au début de 1942 où, pour la première fois, la fête de Pâques peut être célébrée sans brimades. L'an d'après, Staline reçoit en audience solennelle le métropolite Serge de Moscou, le métropolite Alexis de Léningrad et le métropolite Nicolas de Kiev. Désormais, la réconciliation était faite. Le métropolite Alexis nous a d'ailleurs donné un récit de cette entrevue dans un style voisin de l'adoration qui est de mise à Moscou quand on parle de notre petit père vénéré, l'incomparable généralissime.

Dès lors, l'orthodoxie russe, sous la direction d'Alexis devenu patriarche de toutes les Russies, sera pour l'URSS un puissant levier politique. À l'intérieur, elle apaise l'épineux problème religieux. À l'extérieur, elle facilite l'expansion en Bulgarie, en Yougoslavie et en Roumanie. Elle facilite aussi l'expansion au Moyen-Orient où les collectivités orthodoxes sont nombreuses. Dès son accession au trône patriarcal, Alexis, à grand fracas, leur rend une visite.

Pendant cette période, le patriarche de Constantinople ne réagit pas. Sans doute a-t-il vu d'emblée les dangers que les prétentions russes font courir et à sa propre suprématie, et à l'autocéphalie de plusieurs Églises schismatiques. Mais sa propre situation est difficile. La prudence religieuse l'oblige à éviter tout geste qui pourrait compromettre la sécurité aussi nouvelle que précaire de l’Église russe. En outre, lui-même réside dans un pays où il était en conflit avec le gouvernement, la Turquie. Il risquait de se trouver singulièrement sans pouvoir.

Depuis, les choses ont évoluées. Des contacts avec l'Archevêque d'Athènes, Mgr Damaskinos y ont contribué, à tel point que le patriarche de Constantinople est allé passer deux mois en Grèce. L'étroite entente turco-hellénique a facilité un rapprochement avec le gouvernement d'Ankara, d'autant plus aisé que celui-ci abandonne la politique violemment anti-religieuse d'Ata-Turk. Enfin, les communautés protestantes en rapport avec l'orthodoxie, particulièrement l’Église anglicane et l’Église épiscopalienne des États-Unis ont pu s’entremettre. D'où la fermeté nouvelle du Phanar vis-à-vis de Moscou.

Cet échec du patriarche de Russie aura-t-il des répercussions sur la situation religieuse en URSS ? Il est trop tôt pour le dire. Il semble que dans le climat de guerre qui règne aux alentours du Kremlin, les concessions de 1943 devraient subsister. Toutefois cette situation favorable est fragile. En parlant de l’Église orthodoxe, les communistes russes vous disent calmement : « Pour le moment, elle est entièrement libre. » L'échec de l’œcuménisme sous l'égide de Moscou sape une des seules assises solides de la liberté religieuse en Russie.

 

La perspective des élections présidentielles aux États-Unis